15 ans plus tard

Par Kevin le 27 avril 2017 — 7 mins de lecture

Pierre-Emmanuel Barré quitte France Inter consécutivement au refus de la diffusion de l’un de ses sketchs. Ce sketch soulève la question de l’abstention, plus exactement, il soutient l’abstention de vote pour le second tour de l’élection présidentielle de 2017.

Pourquoi les personnes qui ne soutiennent aucun des candidats du second tour et qui ne se reconnaissent plus dans notre politique, pis, qui réfutent l’ordre impérial devraient-elles voter ou voter utile ? Plus exactement, soyons rationnels, quels sont les arguments qui justifieraient de pouvoir obliger et contraindre les déçus de faire un choix par défaut ? Dans ce contexte, quelles seraient les conséquences d’une abstention ?

D’une part, en 2002, je m’offusquais déjà des réactionnaires et donneurs de leçons. Pour autant, s’attaquer au Front National n’a pas été une mauvaise idée, nous avons réagi. Certes. En revanche, nous n’avions pas anticipé et surtout nous n’avons absolument rien retenu. Il faudrait donc 15 ans plus tard, que nous forcions de nouveau, certains citoyens hommes et femmes, à voter contre le FN plutôt que de s’abstenir ?

Nous aurions surtout dû agir. Tout comme il est important de considérer l’accompagnement des zones prioritaires (par l’école, la formation, l’émancipation par le travail), nous aurions dû nous attacher à pacifier les esprits, résorber les clivages sociaux et apaiser les peurs alimentées par nos précédents choix politiques et économiques. Plutôt que de stigmatiser et considérer les électeurs extrémistes ou abstentionnistes comme des imbéciles, anarchistes, xénophobes ou irresponsables, nous aurions dû faire l’effort de comprendre la causalité des choix extrêmes : écouter, confronter, accompagner, comprendre le bruit provoqué par la silencieuse abstention et par la haine discrète. Or, nous constatons impuissants, blâmons et tentons désormais de colmater.

A l’évidence et sans aucunement les assimiler, une partie de l’électorat du FN et des abstentionnistes, sont avant tout des hommes et des femmes indignés par nos sophismes impérialistes. Nous avons abandonné et coupé de la réalité libérale une partie de ces hommes et femmes sans les accompagner de manière étatique et philosophique à nos nouvelles contradictions et idées difficilement conciliables (exemple : comment faire cohabiter mondialisation et plein emploi [1] ?). Nous ne pouvions rien promettre, nous aurions dû avertir, anticiper et éduquer. Au contraire, nous avons alimenté le doute et l’inconfort sans combler les vides laissés par notre libéralisme acerbe mais assumé.

Sans pourfendre notre capitalisme et sans défendre une quelconque dictature prolétaire n’en soyons pas moins naïfs et avouons simplement que nous ne pouvons pas endiguer totalement la fracture politique et sociale, que les intérêts des uns alimenteront nécessairement les déceptions des autres. Nous ne pouvons plus prétendre tout résoudre et nous bercer d’illusions, il nous faut être honnêtes et prévenir des douleurs et conséquences de nos actes. Il s’agit d’accepter le monde moderne tel qu’il nous est défini, de prendre conscience de ses réalités économiques et de sa hiérarchisation dans sa granularité la plus fine. La politique n’a pas pour vocation de promettre le bonheur. Dès lors, ne vendons pas d’espoir lorsque il n’y en a pas ou plus. Expliquons de manière bienveillante, concrète, accessible et fiable les potentielles solutions, conciliations ou alternatives aux problématiques courantes. La compréhension politique, la prise de conscience de notre ordre social et l’acceptation de sa morale laisseront moins de place à l’étonnement et, in fine, au sentiment de trahison et de déception desquels peuvent naître haine, vertiges et peurs.

Au sein d’un système déterministe, attachons-nous désormais à garantir à toutes et tous les mêmes chances de conquête et à définir, précisément et constamment, les nombreuses possibilités d’apprentissage, d’émancipation et la pluralité des formes de réussites en vue d’atteindre paix et tranquillité.

Ainsi, je m’interroge. Sommes-nous en mesure, sous couvert d’une quelconque pression médiatique, de contraindre des hommes et des femmes à faire un choix forcé entre des propositions binaires et diamétralement opposées ? Pire, pouvons-nous considérer l’abstention comme n’étant pas un choix alors que nous n’avons en rien averti des conséquences de nos actes auprès et à l’encontre des plus faibles ? Ne devrions-nous pas avoir le courage d’assumer ?

D’autre part et présentement, le « ni-ni », ainsi qualifié, comprendre plus exactement l’abstentionnisme pourrait être assimilé à un vote pour le Front National plutôt qu’à une démobilisation électorale. Pourquoi ?

Tout d’abord, la base électorale du Front National s’est montrée plus mobilisée que celle d’En Marche dont les électeurs semblent parfois plus friables. Or, ils se trouvent tous les deux dans la dernière ligne droite. A l’évidence, le Front National conservera donc et a minima le même base électorale pour le second tour. Cette tendance n’est absolument pas garantie pour le mouvement En Marche. Bien qu’un certain nombre de personnages médiatiques et notoires ait invité au vote contre le Front National, lesdits personnages incarnent, aux yeux de certains électeurs, l’échec social et culturel de ces dernières années.

Parallèlement, le Front National bénéficie d’un ancrage puissant dans l’histoire de la politique Française et certaines valeurs et idées populistes pourraient, dans le contexte détaillé supra, convaincre des hommes et des femmes, hantés par une politique qui a semé trouble et déceptions, de voter extrême. Au-delà des d’ores et déjà convaincus, ce bulletin Font National est l’équivalent d’un S.O.S. qui peut traduire, parfois, un manque de maîtrise économique et politique mais qui semble particulièrement expliciter la quête décomplexée de rupture. Le vivier d’électeurs indécis, dans un contexte politiquement trompeur et nébuleux (ralliements opportunistes, discours dérobés, fausses nouvelles et électeurs siphonnés), est aisément atteignable par une promesse démagogue et populiste incarnée de toute part par le Front National.

C’est en réalité, la capacité de mobilisation des déçus du premier tour, par l’un ou l’autre candidat qui déterminera le résultat final. Dans l’hypothèse où l’abstention serait importante, en l’état et au vu du contexte, la position du Front National serait donc confortée et soutenue.

Consécutivement et en réalité, il y a donc :

  • celles et ceux qui soutiennent le mouvement En Marche, convaincus par un projet libéral mais progressiste et qui font le pari d’un renouveau bienveillant ;
  • celles et ceux qui soutiennent et soutiendront le Front National ;
  • celles et ceux, qui ne se reconnaissent dans aucun des deux derniers candidats et que nous devons respecter. Je pense notamment à certains électeurs de la France Insoumise qui ont porté une vitalité démocratique ;
  • celles et ceux, qui ne croient plus en notre ordre impérial, à sa domination culturelle, économique et politique. Ces derniers méritent tout autant de respect ;

Quinze années se sont écoulées et ce n’est donc plus « nous » contre le FN mais bien une pluralité d’hommes et de femmes qui voteront ou s’abstiendront consécutivement à nos illusions et désillusions. Le choix libéral n’est pas antinomique avec la prise de conscience morale ou la considération et la mise en relief de nos problématiques sociales découlant de nos actes. Je n’invite pas à l’abstention, bien au contraire, mais, en même temps, ne soyons pas hagards au devant de la pression médiatique et ne nous laissons pas absorber par l’instinct grégaire. Soyons convaincus pour mieux accompagner et soutenir notre futur.

ll faut maintenant assumer nos futures décisions, sans hypocrisie, en connaissance de cause, sans éluder les conséquences, en son âme et conscience et sans contrainte. Les hommes ne sont pas égaux, ils sont donc libres. Libres de choisir.

[1] la mondialisation et les délocalisations qui en découlent sont des causes de sous-emploi dans les pays à revenus élevés. En effet, lorsque qu’une production est délocalisée d’un pays A à un pays B, les revenus de la vente de cette production rémunèrent les salariés du pays B, et ne rémunèrent plus ceux du pays A. Le pays A voit donc sa masse salariale diminuer. Inversement, la délocalisation augmente l’emploi dans le pays B, à plus faible revenu.

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